Dimanche 19 Octobre 2025
29e dimanche du temps ordinaire
Méditation à partir de l’exhortation « Dilexi Te » du Pape Leon XIV
Chers amis, le week-end dernier, lors de ma retraite spirituelle à Lourdes, j’ai pris le temps de lire la toute nouvelle exhortation apostolique « Dilexi te » du Pape Léon XIV, fruit d’une rédaction accomplie à « quatre mains » avec son prédécesseur, le Pape François. Je souhaite ici vous en proposer un résumé, suivi de quelques réflexions sur ce texte majeur, qui appelle à redécouvrir l’amour du Christ au cœur de la proximité avec les pauvres.
La genèse d’un texte « à deux voix »
« Dilexi Te » s’inscrit dans une tradition d’écriture partagée entre deux Souverains Pontifes. Léon XIV a repris le projet initié par François, poursuivant et enrichissant sa vision d’une Église pauvre et pour les pauvres, attentive au cri de la terre et des démunis. La collaboration des deux papes évoque le passage d’un relais, une union de cœur et d’intelligence dans la mission évangélique.
Le texte s’attache à un thème fondamental du christianisme : l’amour du Christ révélé et incarné dans la solidarité avec les pauvres, non seulement comme acte individuel mais comme exigence communautaire, sociale et ecclésiale. Il rappelle que l’option pour les pauvres doit guider l’Église en tout temps.
Les fondements bibliques et spirituels
L’exhortation débute avec une méditation sur la parole de l’Apocalypse : « Je t’ai aimé » (Ap 3,8-9), adressée à une communauté faible et déconsidérée. Léon XIV — reprenant la pensée de François — rappelle dans son texte que le contact avec les pauvres est une façon fondamentale de rencontrer le Seigneur. Jésus a partagé la faiblesse humaine et a placé la dignité des démunis au centre de son ministère : « Ce que vous avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » (Mt 25,40). Ainsi, le souci des pauvres n’est pas de l’ordre de la bienfaisance, mais de la Révélation elle-même.
Les formes de pauvreté et la responsabilité universelle
L’exhortation analyse avec clarté les multiples visages de la pauvreté : matérielle, culturelle, sociale, spirituelle, parfois grossière, parfois cachée ou subtile. Elle rappelle qu’aucune société n’est exempte de pauvreté : même dans les pays dits riches, les familles qui peinent à joindre les deux bouts et les exclus grandissent en nombre. Le texte dénonce l’injustice des structures qui engendrent les nouveaux visages de la misère : exclusion, indifférence, crise d’identité, exploitation et violence, inégalités persistantes entre hommes et femmes.
Avec vigueur, le pape invite à une conversion des mentalités, à lutter contre les idéologies mondaines, à refuser l’indifférence et la culture du rejet : il n’est pas admissible de tolérer que millions de personnes meurent de faim ou vivent dans des conditions indignes alors que d’autres s’enrichissent et vivent dans une « bulle » dorée détachée du sort commun.
L’Église, signe et instrument de la charité
« Dilexi Te » affirme que la charité n’est pas une option secondaire de la vie ecclésiale — elle en est le cœur et le critère même d’authenticité : « Il y a un lien inséparable entre notre foi et les pauvres. » L’Église, depuis ses origines, s’est toujours identifiée avec la figure du Christ pauvre et souffrant. Les Pères de l’Église, de saint Ambroise à Jean Chrysostome et Augustin, ont sans cesse rappelé que le service des démunis est une exigence de la foi : le témoignage se fait non seulement par la parole mais à travers le partage, le soin des malades, la lutte contre l’injustice. Les saints François et Claire d’Assise, Dominique, les moines de l’Orient et l’Occident ont porté ce modèle, célèbre dans le récit du diacre Laurent : « Les pauvres sont les trésors de l’Église. »
Appels concrets : agir, éduquer, défendre
Léon XIV et François, à la suite du chemin tracé par Vatican II et la Doctrine sociale de l’Église, appellent chacun à des gestes concrets et une écoute renouvelée du cri des pauvres. Ils invitent les fidèles à :
- Reconnaître le Christ dans le visage des exclus, malades, migrants, personnes handicapées et femmes victimes de violence.
- Promouvoir des initiatives locales et globales : secours, accompagnement, partage, structures d’accueil, mouvements populaires, transformation sociale.
- Refuser le simple assistanat et instaurer une véritable culture du dialogue, du partage et de la création de liens profonds.
- Lutter pour la justice, la dignité humaine et la défense des droits fondamentaux, en refusant l’accumulation stérile et en cultivant la miséricorde.
Réflexion pastorale
En méditant l’exhortation pendant ce temps, je retiens trois lumières essentielles pour notre propre vie paroissiale et missionnaire :
- Entrer en dialogue : La pauvreté n’est jamais simple et univoque. Nous sommes invités à être proches, à visiter et surtout à écouter, à entrer dans la logique du dialogue. Les pauvres, et tout exclu, ne sont pas uniquement des aidés, ils sont aussi nos maîtres et nos évangélisateurs.
- Agir ensemble : La conversion proposée par Léon XIV appelle nos communautés à sortir de la mondanité, à inventer des formes de partage, à ne pas se replier. Chacune de nos paroisses peut, à sa mesure, offrir hospitalité, visite, attention aux plus faibles, engagement culturel, éducatif et social. C’est ainsi que nous vivrons pleinement notre mission baptismale.
- Se laisser évangéliser : L’exhortation ne cesse de rappeler que l’Église ne donne pas la charité « à sens unique » ; elle se reçoit d’elle, elle se laisse toucher, enseigner, parfois corriger par les plus pauvres. Ce chemin de conversion, bien plus qu’une organisation humanitaire, fait de l’Église un « corps vivant », témoin de la présence du Christ dans l’histoire.
Conclusion
« Les pauvres, vous les aurez toujours avec vous. »(Mc 14, 7). Ces mots du Christ nous rappelle que la pauvreté, dans sa réalité concrète, ne disparaîtra pas. Cependant, il doit nourrir notre compassion et notre engagement. Ce n’est pas une invitation à faire abstraction de la pauvreté, mais au contraire à la prendre comme un appel à ne pas détourner le regard, à ne pas fermer notre cœur.
Le Seigneur nous a aimés non seulement avec des paroles, mais par sa vie même, par le don de son Corps, qui est l’Église. « Je t’ai aimé », dit-il Jésus. C’est en son Corps que son amour se manifeste, un amour qui nous a aimés alors que nous étions mauvais et pécheurs, qu’il a voulu partager notre condition humaine dans son incarnation, sa pauvreté, sa vie, jusqu’à la croix. À notre tour, ce même Corps, l’Église, est appelé à visiter le malade, à désaltérer celui qui est assoiffé, à porter concrètement cet amour divin dans notre monde.
Que notre Église ne se contente pas d’observer la pauvreté comme une réalité à éviter, mais qu’elle en fasse un chemin de foi, de justice et d’amour. Faire de la charité un chemin concret, un chemin joyeux et incarné, n’est pas une option, mais l’exigence même du cœur du Christ, et la vocation pérenne de toute communauté chrétienne.